Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site web.
Si vous continuez à utiliser ce site, nous supposerons que vous en êtes satisfait.

  • Visiteur, merci de ne pas poster plus de 5 poèmes par jour. Ceci dans le but d'améliorer la visibilité du site.

Les pensées célèbres, celles de la Vagabonde de la Poésie, les pensées Momoriciennes et les vôtres si le coeur vous en dit

Récit N15

Une journée d’école à Capdenac dans les années soixante, le jour où tout a failli basculer !

Si vous avez l’occasion de balayer du regard cette cour d’école aujourd’hui, dites-vous que rien n’a vraiment changé depuis les glorieuses années où, petit écolier, je la parcourais brodequins aux pieds. Je vais essayer de vous décrire ce qu’était la vie des écoliers dans le courant des années soixante en ce haut lieu de la culture. Le portail en fer forgé s’ouvrait sur un espace sobre parsemé de petits platanes. Les instituteurs avaient pour habitude de parcourir cet espace clos dans d’incessants et curieux allers-retours, composés d’une marche avant et d’une marche arrière. Ce mouvement de balancier, dans une gestuelle bien huilée, ne pouvait jamais s’enrayer, Ils discutaient entre eux tout en surveillant les élèves. Ce mécanisme pouvait toutefois marquer un temps d’arrêt suite à une glissade ou à un télescopage accidentel.
L’enceinte en terre battue était en léger devers et la vitesse que prenaient les trois cents petites guiboles ne permettait pas toujours d’éviter les dures rencontres non sollicitées! Dans ces conditions extrêmes, les genoux couronnés n’étaient pas rares. A l’air libre, sans soins particuliers, les blessures finissaient toujours par cicatriser. Rapidement arrivait le fatidique son de la cloche actionnée par une chaîne solidement accrochée à une poutre du préau. Préau qui nous servait d’abri en cas d’intempéries, qui pouvait aussi offrir un de ses coins afin de permettre à un éventuel étourdi qui n’avait pas appris ses tables de multiplication de remédier à cet impensable oubli. Il lui suffisait pour cela de parcourir le dos du cahier qui faisait office de brouillon. Cette suprême punition durant la récréation nous permettait de prendre conscience que les études passaient avant l’amusement !
Nous pouvions aussi jumeler cette offense à notre dignité d’écolier par des tours de cour, les mains sur la tête ou derrière le dos. La pire de toutes ces sanctions restait celle où nous devions accomplir ce même outrage dans l’enceinte des filles! Une rangée de commodités turques bien pratiques, aux portes pleines mais ajourées par l’inexorable rudesse du temps, longeait un mur d’enceinte pratiquement infranchissable. Bien entendu, les filles et les garçons ne partageaient pas le même secteur d'études. En ces temps reculés, la morale prédominait sur tout, l’éducation nationale ne voulait pas, vous l'avez compris, s’exposer au moindre risque!Toutefois, ce contexte sobre qui prête aujourd’hui à sourire n'influait aucunement, rassurez-vous, sur notre imagination débordante.
La semaine scolaire s’étalait du lundi au samedi après-midi, nous rentrions le matin à neuf heures et nous quittions l’établissement à quatre heures et demie. Le jeudi, nous n’avions pas classe mais cela ne veut pas dire que nous étions au repos, nos parents nous trouvaient diverses occupations pratiques ! Lorsqu’on est entouré de champs et d’animaux, il y a toujours de quoi occuper un esprit épris d’oisiveté ! Les vacances d’été avaient une durée de trois trimestres par diverses activités ludiques mais aussi physiques. La rentrée autour du vingt septembre était consacrée aux billes que l’on achetait chez la Marinette. C’était une toute petite surface aux multiples gâteries pas très loin de l’entrée de l’école Saint-Louis. Le paquet de cent billes en terre avait une valeur marchande de cent francs, la bille était donc à un franc! Ce petit calcul rapide est là pour vous prouver que mon passage à l’école primaire n’a pas eu que des côtés négatifs. Les agates en verre aux reflets multicolores étaient à dix francs, il existait le boulard bien plus gros mais aussi la bille en plomb, nous pensions avoir une fortune en poche! Cette grande richesse se mélangeait souvent dans nos tabliers gris avec de succulentes châtaignes fraîchement ramassées puis grillées au feu de bois. Ce délicieux fruit très nourrissant à l’enveloppe épineuse était surnommé "le pain du pauvre". Il était largement utilisé dans nos campagnes et pouvait se conserver toute l’année. Aux petites mains il servait parfois de monnaie d’échange lorsque par malheur nous étions kuffés! "Sans billes".
Nos jeux étaient variés: soit on débutait une partie de triangle, soit on jouait au trou! Alors, les phrases aux timbres magiques fusaient de nos petites bouches : « Point de dégouline ! Point de patte! Je vais te kuffer! » Une suite de mots magiques que nous comprenions tous et qui nous permettaient de passer un très agréable quart d’heure. Nous entonnions un peu plus tard dans l'année les «Qui c'est qui veut jouer aux gendarmes et aux voleurs? » Ou le fameux :«Qui c'est qui veut jouer à trape trape? » Ces moments de liberté cependant passaient bien trop vite à notre gré! Certains élèves, dès leur arrivée le matin, étaient de corvée pour allumer le poêle à charbon. Une agréable chaleur était donc bien en place pour nous accueillir à l’instant même où la cloche sonnait le moment du grand rassemblement. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les rangs par deux se formaient dans un silence qui aujourd’hui paraîtrait surprenant, tant il contrastait avec la minute qui l’avait précédé. Devant la porte l’instituteur d’un signe autorisait l’accès à la salle de classe. Deux ou trois allées séparaient des petits bureaux à deux places où un petit banc solidaire servait d’assise aux élèves. L’odeur bien particulière de cette pièce réservée aux études emplissait nos narines. C’était un parfum olfactif difficile à décrire, fait d’un savant mélange de craie, d'encre, de gommes, de cahiers et de livres! Sans oublier l’odeur du chauffage aux effluves charbonneuses si particulières. À l’époque des machines à vapeur, nous nous étions habitués à ce type de confort passager! Nos fermes étaient équipées d’une cheminée avec un effet chaud devant, froid derrière pour faciliter le tirage et bien souvent la porte d’entrée restait ouverte pour éviter les émanations de fumée à l’intérieur de la pièce à vivre. L'académie de Toulouse, vous voyez, ne lésinait pas sur le bien-être de ses petits étudiants. Face à notre pupitre nous attendions patiemment l’ordre du maître qui nous ordonnait de nous asseoir. Cette phrase était suivie généralement d’un : « Sortez votre cahier du jour!». L’instituteur commençait alors la leçon de morale, très importante à ses yeux.
Après nous avoir expliqué les règles d’une bonne conduite sur divers sujets de l’existence, il prenait la craie et, dans une écriture faite de pleins et de déliés, le tableau s’incrustait de sages paroles. Une fois la phrase moralisatrice définitivement inscrite, nous devions la recopier à l’aide de notre plume légèrement humectée dans l’encrier. L’écriture est un art de nos jours oublié, je vous invite à consulter les anciens registres dans nos mairies pour en saisir les contours aux multiples facettes. Plume légère en montant puis accentuée dans sa descente, la lettre ainsi posée devient une œuvre d'une finesse admirable. Les taches ne sont pas admises, il faut beaucoup d’expérience et de doigté pour obtenir une récompense désignée par un Bien ou un Très Bien. Les uns après les autres, nous nous levons et toujours dans le plus grand calme, nous avançons vers la chaire et tendons le cahier ouvert à l’homme nanti d’une grande instruction. Il nous demande si l’on a bien compris ses explications du matin, et nous pose une ou deux questions à ce sujet, sa plume imbibée d’encre rouge parcourt les quelques lignes et en marge tombe par magie l’appréciation. Le bonheur, on le ressentait déjà dans un Assez Bien, alors, lorsqu’on atteignait le sommet de la récompense avec un Très Bien, inutile de vous décrire la fierté qui fusait en nous! Ainsi passait la journée où le français côtoyait les mathématiques, avec ces fameux trains qui partaient en gare de Capdenac vers Cahors à une certaine vitesse, mais qui, contrairement à la régularité exigée par la SNCF pendant cette glorieuse époque, n’étaient jamais à l’heure, et il fallait bien entendu dire à quel endroit ils allaient se croiser! Difficile, me direz-vous, sur une ligne à une voie! Les réserves d'eau n'étaient jamais étanches et d'astucieux vases communicants ajoutaient leur grain de sable à un résultat que nous devions trouver et qui nous faisait inévitablement bouillir les neurones ! Nous sortions une fois par jour l’ardoise pour du calcul mental et c'était à celui qui trouverait le bon résultat en premier! Il pouvait ainsi gagner un bon point ou une image! À ce jeu-là, certains d'entre nous montraient une certaine aisance. D’autres qui, au contraire, avaient sûrement déjà des facultés résolument tournées vers la littérature ne progressaient guère ! Heureusement la brave cloche actionnée grâce à une chaîne par l'élève de service venait, à intervalles réguliers, nous délivrer de ces prises de tète incessantes mais oh combien utiles et instructives
Le repas de midi que nous avait concocté avec amour la mère Closel arrivait à point. Nous faisions notre possible pour lui être agréable en l’aidant dans son service afin de pouvoir avoir accès à la réserve aux Petits-Beurres. Évidemment nous nous remplissions les poches sans le lui dire! Je n’appréciais pas la nourriture qui nous était servie. Sans être ni hindou ni disciple de Pythagore, je n'ai pas voulu toucher un seul morceau de viande pendant plusieurs années. L'esprit n'en était que plus alerte, aussi bien retrouvait-on le même régime dans la plupart des internats, c’est ce que m’ont fait comprendre les quelques années de pensionnat au lycée Champollion de Figeac! S’il faut en croire le philosophe Alain : "Il y a une odeur de réfectoire que l’on retrouve la même dans tous les réfectoires. Que ce soient des Chartreux qui y mangent, ou des séminaristes, ou des lycéens, ou de tendres jeunes filles, un réfectoire a toujours son odeur de réfectoire. Cela ne peut se décrire. Eau grasse ? Pain moisi ? Je ne sais. Si vous n’avez jamais senti cette odeur, je ne puis vous en donner l’idée; on ne peut parler de lumière aux aveugles. Pour moi cette odeur se distingue autant des autres que le bleu se distingue du rouge.
Si vous ne la connaissez pas, je vous estime heureux. Cela prouve que vous n’avez jamais été enfermé dans quelque collège. Cela prouve que vous n’avez pas été prisonnier de l’ordre et ennemi des lois dès vos premières années. Depuis, vous vous êtes montré bon citoyen, bon contribuable, bon époux, bon père ; vous avez appris peu à peu à subir l’action des forces sociales ; jusque dans le gendarme, vous avez reconnu un ami ; car la vie de famille vous a appris à faire de nécessité plaisir. Mais ceux qui ont connu l’odeur de réfectoire, vous n’en ferez rien. Ils ont passé leur enfance à tirer sur la corde ; un beau jour enfin, ils l’ont cassée ; et voilà comment ils sont entrés dans la vie, comme des chiens suspects qui traînent un bout de corde. Toujours ils se hérisseront, même devant la plus appétissante pâtée. Jamais ils n’aimeront ce qui est ordre et règle ; ils auront trop craint pour pouvoir jamais respecter. Vous les verrez toujours enragés contre les lois et règlements, contre la politesse, contre la morale, contre les classiques, contre la pédagogie et contre les Palmes Académiques ; car tout cela sent le réfectoire. Et cette maladie de l’odorat passera tous les ans par une crise, justement à l’époque où le ciel passe du bleu au gris, et où les libraires étalent des livres classiques et des sacs d’écoliers".

Après ces fortes paroles, et après avoir redressé mon ancienne casquette d’écolier un instant déstabilisée sur une tête vagabonde, je glisse avec vous vers la deuxième partie de la journée.
Elle était consacrée aux matières très importantes qui font travailler la réflexion et l’imagination. Nous avions des sujets de rédaction pas faciles à développer. Il m’en revient un à l’esprit : "Décrivez l’automne ». Les séances de vocabulaire que j’aimais bien étaient très animées aussi ! L’orthographe avec sa fameuse dictée d’environ dix lignes en CM2, truffée d’accords avec le verbe être et avoir, nous posait de sérieux problèmes! En effet, une faute entière comptait pour quatre points en moins sur vingt, la demi-faute sanctionnait un nom commun de deux points, la ponctuation et les accents oubliés, un quart de faute ! À ce régime on atteignait rapidement le zéro pointé avec cinq fautes! Mais peu importait la besogne, il nous fallait être fin prêts pour le jour où l’ordre nous serait donné de sortir nos cahiers de composition! Notre plus grand bonheur venait encore une fois de cette brave cloche qui, à quatre heures et demie, résonnait à nouveau afin de nous délivrer de ces interminables casse-têtes! On reconnaissait la sonorité du soir, l’élève qui tirait sur la corde y mettait tout son cœur! La sortie était accompagnée de cris joyeux sonnant la liberté dès que l’on passait le portail en fer forgé pour regagner nos foyers. Il est à ce propos un souvenir moins heureux qui est resté ancré dans la mémoire collective de beaucoup d’écoliers, enfin c’est ce que je pense ! Comme chaque jour, matin et soir, le car de la société Laurens se chargeait du ramassage scolaire. De Capdenac-Gare en passant par la Madeleine et au-delà de Foissac, les enfants empruntaient l’autobus dans un aller-retour journalier.

En cette fin d’après-midi, c’est donc la tête remplie de nouvelles connaissances que cinquante écoliers du cours préparatoire aux collégiens en classe de troisième, prenaient la route pour rentrer chez eux. Confortablement installés sur des sièges à l’assise ferme dépourvus de ceintures de sécurité, ils se trouvaient dans les lacets de la fameuse côte de Roquefort. Il n’y a pas jusque-là de quoi en faire un fromage, me direz-vous! Oui mais voilà, ce jour- là, le garagiste du coin essayait une nouvelle déesse de la route! Au tiers de la montée, dans un virage en courbe pas très accentué, ce bolide lancé à toute allure a eu la fâcheuse idée de percuter l’avant de notre bus! Dans une glissade miraculeuse, ce dernier s’est arrêté dans un mouvement de balançoire retenu en son centre par un brave chêne qui avait réussi l’exploit de prendre racine dans un coin où toutes plantes dites raisonnables hésitent à s’aventurer ! J’ai ressenti immédiatement une douleur vive au niveau du genou gauche qui s’est mis à saigner abondamment puis à gonfler. Heureusement cette blessure après consultation s’est avérée sans gravité. Seule une cicatrice attestera par sa présence l’instant où dans ma vie tout a failli basculer ! Des cris de frayeurs ont jailli de l’habitacle, le moteur du car a été immédiatement stoppé grâce au sang-froid du chauffeur à l’éternel béret basque. Ce brave père Laurens, comme on l’appelait tous, avait eu un réflexe béni, il venait de sauver sans le savoir encore l’ensemble de ses petits passagers ! Sous nos yeux effarés, un ravin vertigineux, gueule grande ouverte, nous tendait ses bras. Cet espace béant d’environ quatre-vingts mètres de profondeur baigne ses pieds dans le lit du ruisseau la Diège. Elle était prête ce jour-là à nous offrir en guise d’adieu son lit. Le car scolaire en équilibre précaire devait se vider sans tarder avant que l’impensable ne se produise. Heureusement, le maître à bord encore une fois a su organiser son évacuation dans le calme. La portière qui permettait la sortie habituellement s’ouvrait face au précipice. Nous avons emprunté logiquement celle du conducteur. Je ne vous cache pas toutefois que le temps que l’on a mis à quitter le couloir central au moment crucial de l'évacuation nous a paru interminable. Des craquements inquiétants saccadés rythmaient notre future délivrance, et nos yeux évitaient de se focaliser vers l’espace diabolique qui nous aurait condamnés à une mort certaine. J’ai, grâce à mon ami instituteur, retrouvé l’endroit précis où a eu lieu le télescopage et le saint arbre qui a permis la survie de très nombreuses âmes, bien trop jeunes pour quitter le monde des études! Eh oui, il existe encore, son tronc robuste défie les années avec grâce et dans une révérence dont il a le secret. Il se rappelle à nous en tant que sauveur à l’écorce providentielle.
 
Récit 16

Anselme et Cyprien

Anselme, le fossoyeur croque-mort bien connu des gens du pays, et Cyprien, notre voisin le mendiant vers la fin des années cinquante.

Ce brave Anselme le fossoyeur fait partie des personnages qui ont marqué de leur empreinte la région qui les a vus naître. Qui ne connaissait pas Anselme? Aussi blanc que la farine du meunier, ou les fidèles clients qu’il transportait jusqu’à leur dernière demeure. Il était d’une maigreur qui ferait pâlir de jalousie tous les mannequins d’aujourd’hui ! Il faut dire qu’il travaillait beaucoup, l’époque que l’on traversait n’était pas avare avec lui, le glas sonnait souvent, un coup signifiait qu’une femme nous avait quittés, deux coups, qu’il s’agissait d’un homme. Notre terrassier, muni d’une pelle, a passé sa rude vie à faire des trous de toutes les dimensions, contrairement au poinçonneur de la Porte des Lilas. C’était un brave, comme l’on en rencontre peu, fort en répartie ; d’ailleurs, pour asseoir son statut, il ne manquait pas de mentionner son passage à l’école primaire. Il se plaisait, lorsque mon père croisait sa route funèbre, de lui rappeler qu’il avait bien connu son frère le professeur de lettres et lâchait alors cette phrase forte et sans compromis : «Je suis été à l’école avec ton frère Roger !» Il ne manquait jamais une occasion de discuter un moment avec le curé du village en le harcelant de : « Putain de moine, monsieur le curé!». Un soir d’été, il s’était rendu à Capdenac récupérer un cercueil sur mesure chez le menuisier en prévision de la mort de la pauvre mère Couderc qui avait, disait-on dans le coin, "perdu la tête!" Il se doutait bien, par rapport à sa grande expérience, que le fameux bouillon d’onze heures allait lui être servi prochainement. C’était un fossoyeur très prévoyant et, comme on le dit souvent actuellement, mieux vaut avoir un coup d’avance ! Là, il en avait deux! La dame étant de forte corpulence, il avait pris soin de creuser une grande fosse au cimetière ! Elle était fin prête à accueillir la future défunte ! C’était une après-midi où la lourdeur atmosphérique laissait présager une soirée électrique. Vous savez, celle qui vous oblige à marquer un arrêt à tous les troquets que vous trouvez sur votre parcours pour vous désaltérer ! Ce qui devait arriver arriva ! Alors qu’il était à mi-chemin sur le retour vers le clocher de l’église, il fut confronté à un violent orage qui le plongea en un instant dans un milieu sombre aux ombres lugubres ! Sa vieille jument grise Coquette connaissait la côte de Roquefort sur le bout de ses sabots, des déluges elle en avait essuyés bien d’autres et sûrement des pires! Au fil des années, elle avait fini par enregistrer les habitudes d’Anselme et, rapporte t-on au pays, elle s’arrêtait en face de tous les bistrots de la région sans que son maître éprouve l’utilité de lui en donner l’ordre. Patiente comme les morts qu’elle transportait, elle attendait que son cocher se soit bien désaltéré. Brave dans l’âme, notre croque-mort avait toujours dans la réserve de la charrette un seau d’eau pour sa Coquette monture. Il n’y avait pas à se préoccuper du taux d’alcoolémie à l’époque ni de la vitesse excessive, l’attelage pouvait ainsi lanterner sereinement, même si son conducteur était ivre mort.

Mais revenons là où nous avions laissé Anselme ! Quand on fait face aux éléments qui se déchaînent, il faut réagir vite, surtout sous une pluie battante éclairée seulement par les flèches que lançait le diable ! Il décida de profiter d’un abri providentiel et se glissa dans le cercueil. Il ne tarda pas à s’endormir, la journée avait été arrosée elle aussi, comme je viens de vous l’expliquer ! Ce convoi exceptionnel s’il en est continuait sa route sereinement malgré les éléments quand soudain une salve de coups de klaxons à réveiller un mort couvrit le grondement du tonnerre ! Notre homme sursauta dans la boîte, se cognant au passage au couvercle qu’il soulevait d’une main tout en se frottant la tête de l’autre, hurlant sa douleur au grand air, blanc comme un linceul ! Nos automobilistes, voyant ce cadavre fantomatique ébloui par les phares de leur voiture se ranimer sous leurs yeux, furent pris d’une frayeur soudaine et après un demi-tour digne des meilleurs films d’action hollywoodiens, prirent la fuite ! Anselme, lui, n’a jamais su expliquer le comportement bizarre et surtout indigne de ces personnes étrangères à la région en manque total d’éducation. Ce brave courageux est mort au cimetière du Mas du Noyer occupé à creuser une fosse pour son prochain client. Le jour de son enterrement, tout le village suivit le corbillard tiré par la brave Coquette et rien ne semblait avoir changé ! Anselme était derrière et elle, devant !

Un deuxième pauvre gravitait dans la région, il connaissait les lieux comme sa poche trouée, couvert de haillons. Je ne lui ai jamais connu une autre tenue, il la portait même pour les obsèques de sa pauvre femme "la Virgile". Il vivait de misère avec son amour dans une vielle bâtisse au fond d’une grange, où seul un morceau de toit qu’il entretenait annuellement les abritait des intempéries. Cyprien passait régulièrement nous proposer des escargots, des châtaignes et un tubercule prisé par les riches aujourd’hui, que l’on nomme la truffe. Bien que presque aveugle, il n’avait pas son pareil pour trouver l’or noir du Quercy, ce pauvre hère! Nous étions ses amis, il venait à la maison pour troquer sa marchandise, et il repartait avec quelques sous après avoir partagé une bonne soupe campagnarde. Ma grand-mèr qui était une excellente cuisinière l’invitait souvent à déguster des mets dont elle avait le secret. Au menu elle servait des plats régionaux, escargots à l’oseille, truffes fraîchement cueillies. Tiens, à ce propos, voici une recette très facile à réaliser, je vous en dévoile aujourd’hui les ingrédients. Elle était d’ailleurs mentionnée dans un ancien livre de cuisine du début du siècle dernier ! Vous prenez un kilogramme de truffes du Quercy, vous les coupez en très fines tranches, vous assaisonnez légèrement avec de l’huile, du vinaigre et une pincée de poivre, vous dégustez, c’est excellent ! Ainsi les pauvres d’avant pouvaient-ils se régaler avec des assiettes aujourd’hui réservées aux riches. Un kilogramme de truffes se négocie actuellement sur le marché de Lalbenque entre huit cents et mille deux cents euros.

Revenons à notre brave homme. Un jour, les pompiers sont venus le prévenir d’un drame qui venait de se produire au passage à niveau de la Madeleine. Sa pauvre aimée, la Virgile, sourde comme un pot, avait été la malheureuse victime d’une satanée bête noire et ce jour-là pourtant, un train n’en cachait pas un autre ! Notre brave Cyprien, en devinant les restes éparpillés de sa chère épouse, a eu cette phrase mémorable qui en disait long sur leur vie amoureuse !…En patois traduit.… « Milladiou…Aqueste cop ela comprès »!. « Ce coup-ci, elle a compris !»
 
Celle-là me plaît bien!

Si nous mettons beaucoup de nous-mêmes dans notre regard, et dans notre apparence extérieure, si un paysage peint parfois notre état d’âme, il faut convenir que nos gestes, et quelquefois même nos paroles, ne suffisent pas pour exprimer toute notre vie intérieure, et profonde.
 
Récit N17

Cyprien, notre voisin le mendiant

En ces temps difficiles, la mendicité n’était pas interdite !

Aujourd’hui je vais vous parler à nouveau de notre voisin et ami Cyprien, né d'une famille misérable de mémoire ancestrale, à qui on n’avait jamais connu un autre statut que celui de mendiant. Il n'y avait, il faut bien le reconnaître, aucun déshonneur à vivre de mendicité en ces temps abolis! Avoir la main tendue ne posait pas de problème, les riches n’avaient pas honte des pauvres et les pauvres ne rougissaient pas de leur indigence. Ils n’enviaient absolument pas leur richesse. La misère était omniprésente, on pouvait être plus ou moins pauvre, on vivait ainsi sans en faire un drame ou encore moins un mélodrame !

La pauvreté curieusement n’étonnait personne, elle ne blessait personne, bien sûr je vous parle d’une période, encore une fois pour que vous n’en soyez pas étonnés, depuis très longtemps révolue. Jadis ces vagabonds sillonnaient nos campagnes, les effluves olfactives printanières comme par enchantement les sortaient de leur torpeur hivernale dans le coin d’une grange où ils hibernaient tels des ours dans la paille ou dans le foin. La besace accrochée à la taille, la barbe surabondante, la bouche édentée, illettrés, habillés de haillons, ils partaient à la recherche d’un peu de travail pour un croûton de pain ou pour un simple verre de vin. « Où il y a du pain et du vin, le Roi peut venir » disait un proverbe, et on se contentait de cette maigre richesse ! Le Cyprien de mon enfance était si malheureux que je pensais qu’il n’avait jamais eu de parents.

Il avait vu le jour comme eux sur un lit de fourrage pressé par la lourdeur des années, L’accoucheuse de service, la mère Puech, était venue délivrer sa pauvre maman ! Inutile de vous dire que le travail s’était déroulé sans anicroche ce jour béni ! Les communes avaient une flopée de spécialistes, des praticiens reconnus d’utilité publique par les habitants, mais dépourvus de diplômes bien évidemment. Du guérisseur au rebouteux, en passant par la sage-femme désignée, la préposée aux piqûres et à la fin de son existence, la visite du croque-mort ! Les gens du pays jouissaient ainsi d'un multi-service à domicile gratuit ou presque! Il arrivait cependant que les événements ne se déroulent pas comme on l’aurait imaginé ou du moins souhaité. Ainsi une naissance pouvait-elle avoir des conséquences dramatiques ou au minimum très ennuyeuses. Un enfant, par manque d’oxygène, pouvait mourir ou au mieux devenir l’idiot du village. Le pire se produisait quand la mère et le bébé ne survivaient pas à cette redoutable épreuve.Parfois c’était soit l’un, soit l’autre, une loterie morbide dont on se serait bien passée!
Pour notre ami Cyprien, le miracle de l’existence n’avait posé aucun problème, enfin presque, il allait souffrir d’une malvoyance héréditaire, mais grâce à Dieu, il n’allait pas être sourd comme sa pauvre mère! Ainsi ses parents allaient-ils pouvoir goûter aux joies que procure la maternité. J’ai mis cependant longtemps à me faire à l’idée de cet état de fait! Je n’imaginais pas qu’il ait eu, enfant, une famille. Il s’appelait Cyprien et cela suffisait amplement à mes yeux, pourquoi se serait-il embarrassé d’un patronyme ? Je ne vous cache pas ma déception quand j’ai appris qu’il avait un papa et une maman comme moi. Sa génitrice, sans perdre de temps, l’avait initié à son futur métier de mendiant, et tout petit, il la suivait et l’imitait dans une gestuelle parfaite! Lorsqu’on appartient à une généalogie de mendiants, on bénéficie de gènes qui permettent d’être armés pour affronter ce type de comportement. Il représentait un tout, semblable à ces personnages dont on parle parfois dans les livres sacrés qui se suffisent à eux-mêmes. Il pouvait très bien ne pas avoir d’ascendance ; sa présence sur terre elle seule n’avait à souffrir d’aucune explication ! C’était Cyprien l’unique, mon Cyprien, notre Cyprien, le mendiant mythique de la vallée du Lot.
Cyprien avait une manière bien particulière de s’habille.Il avait la fâcheuse habitude d’empiler sur sa carcasse les vêtements qu’on lui donnait. Dans cet accoutrement, il adoptait sans le savoir la physionomie d’un Vendredi tous les jours de la semaine ! Il superposait même les couvre-chefs sur sa tête qui finalement ne paraissait pas dégarnie par rapport à son âge ! D’ailleurs, quel âge avait-il ? Personne au pays n’était en mesure de répondre précisément à cette question ! Lui-même le savait-il ? Sa manière de se vêtir à l’aveugle avait l’avantage de libérer ses mains, ce qui est essentiel pour un mal voyant qui cherche sa route à tâtons, et qui en plus tend la main pour quémander une misère! Cyprien était un redoutable chercheur d’escargots. Du petit gris au bourgogne, très peu avaient la chance de lui échapper, même s’ils le voyaient arriver de loin avec leurs grandes antennes ! L’inverse n’était pas vrai, vous devez vous en douter ! Il venait les proposer régulièrement à ma grand-mère Marceline qui les mettait à dégorger dans une grosse réserve grillagée d’eau salée. Elle lui donnait alors quelques sous en échange, ou lui troquait ce trésor contre d’alléchantes victuailles. Parfois, elle l’invitait à venir les déguster quelques jours plus tard. Ces mollusques à cornes et à coquilles préparés à l’oseille étaient succulents, c’était de toute évidence à notre tour de baver devant eux avant d’être copieusement servi ! A une personne du pays, un jour d’automne, Cyprien lança : -Vau castanar ! Je vais ramasser des châtaignes. - Et comment pourras-tu les trouver, tu oublies que tu es presque aveugle ? Il lui répondit du tac au tac en grand expert en la matière : - Los mens uelhs ne'm sèrven pas ad arren, qu'ei dab los pès que'us senti! -Mes yeux ne servent à rien, c’est avec les pieds que je les sens !».

Cyprien avait des parcours bien à lui, il passait souvent par Capdenac où, une fois, il avait donné une très mauvais image de lui car il était ce jour-là, dit-on, habité par le démon ! Echo des paroles rapportées par les badauds qui avaient assisté à ce spectacle très désolant, vous en conviendrez avec moi!! Jugez-en plutôt au récit de cette scène burlesque ! Un jour qu’il était ivre mort, parce que des paysans mal intentionnés lui avaient offert du vin en abondance, et que tout le monde était inquiet pensant qu’il avait rendu l’âme, tant son attitude rappelait un début de coma éthylique, il reprit soudain connaissance en remuant ses membres engourdis! Chaque voyeur impuissant poussa à cet instant un ouf de soulagement et remercia le Seigneur pour sa grande générosité! Soudain, profitant de ce miracle inattendu, son visage s’illumina ! Illumination encore une fois attribuée au Ciel qui permettait d’afficher aux aveugles ce sourire si caractéristique : - Gara ! soupira-t-il en extase, me caldrià una drolleta ! - Maintenant, il me faudrait une fillette! Tous les témoins de la scène biblique prirent la fuite, offusqués par ces paroles sataniques, mais tout de même rassurés sur le sort de ce pauvre hère. Il se rendait tous les ans à la foire de la commune de Faycelles, il faisait l’honneur de sa visite aux villageois, c’était à sa façon un prince en déplacement. Personne n’aurait pensé d’ailleurs une seconde qu’elle puisse avoir lieu sans lui ! L’annonce de son arrivée se répandait comme l’écho de la cloche perchée au sommet de l’église.
Les enfants à la sortie de l’école se précipitaient pour aller à sa rencontre. Moqueurs parfois, ils imitaient le vrombissement des voitures, ce qui le mettait hors de lui ! Il faut dire qu’un jour encore plus sombre que les autres, une de ces satanées automobiles avait tué son brave chien Loustic auquel il tenait comme la prunelle de ses yeux, si vous me permettez cette expression quelque peu déplacée!

Etait-ce un signe du destin? Le jour où Cyprien a cessé de venir, la foire a décliné, puis a fini par s’éteindre! « Post hoc, propter hoc ? » « A la suite de cela, donc à cause de cela » Relation de cause à effet ou pure coïncidence, mieux vaut ne pas essayer de trancher, afin de rester un très bon Catholique ! C’était un homme important finalement. Au pays, il présidait près du monument aux morts au centre des villages. Assis sur les marches du calvaire de pierres de Loupiac ou de Faycelles, il siégeait sur son trône au carrefour des quatre chemins! Cyprien tenait conseil au milieu de sa cour d’écoliers, il n’était pas rancunier ! Venaient se mêler à ce curieux colloque quelques paysans et mauvaises langues qui ne manquaient pas l’occasion de le harceler de questions indiscrètes. Ses réponses étaient très pertinentes et souvent l’interlocuteur se trouvait bien embarrassé, démonté par une verve à toute épreuve qu’il n’avait pas vu venir! Que ce soit dans son fief de Causse et Diège au lieu dit les Cazalous ou dans le secteur de la Madeleine, et cela jusqu’au clocher des principaux villages, il avait trouvé des âmes sensibles à son statut de misérable ! Rosalie, Marceline, Justine et la Maria lui ouvraient leur cœur en le faisant profiter d’une charité exemplaire ! Ce n’était pas pour autant un profiteur, il n’arrivait jamais les mains vides. Dans son petit sac en jute se trouvaient tous les trésors que la nature généreuse offre aux chercheurs avertis au gré des saisons. Dans cette précieuse réserve pouvait se cacher l’or noir du Quercy, des cèpes, des châtaignes, des noix, ou encore des mûres et des fraises des bois. À Loupiac, un jour, il rencontra une petite fille et lui proposa de lui offrir justement ces précieuses perles roses, pur nectar des forêts. Ne sachant pas où les mettre, il eut l’idée de les déposer dans son joli chapeau blanc. Inutile de vous faire un tableau de l’état de la coiffe de la fillette quand, fière de cette offrande, elle déposa la précieuse marchandise en arrivant chez elle avec ces heureuses paroles : « C’est Cyprien, le mendiant qui me les a données !». Il trouvait dans cet échange de bons procédés, une ouverture enrichissante en élevant son âme pure de mendiant.

Cyprien a eu une fin tragique, aussi douloureuse et dramatique que celle de sa pauvre Virgile, son amour. Souvenez-vous, elle avait été la malheureuse victime d’une satanée bête noire au passage à niveau de la Madeleine ! La dernière fois que j’ai entendu parler de lui, c’était par la voix de mon père qui a répondu à ma question : - On ne voit plus Cyprien depuis longtemps, où est-il ? - Tu sais, Maurice, il était âgé, il vivait dans une très vieille grange où un seul coin de toiture l’abritait. Cet hiver, il a voulu replacer quelques tuiles pour qu’il ne lui pleuve pas dessus et il a fait une chute mortelle ! On n’a rien retrouvé de lui, à part quelques os, les rats l’avaient entièrement dévoré ! Ainsi finit tragiquement la vie de notre ami Cyprien, le mendiant, qui marqua de son empreinte de pauvre et de riche à la fois mon incroyable jeunesse. Ce destin, aussi horrible était-il, ne m’a cependant pas étonné, Cyprien habitait derrière le moulin à eau sur la route qui mène à Cajarc. Mes parents et moi, accompagnés de Pompon le percheron, nous nous étions rendus dans ce grenier à blé récupérer quelques sacs de farine plusieurs mois avant ce drame. Chaque ferme avait son four à pain et nous avions l’habitude de confier une partie de notre récolte à moudre au brave minotier d'en face. C’est là que j’ai vu le plus de rats de ma vie, Ils crépissaient le pan du mur à l’entrée de la meunerie, mon chat lui-même aujourd’hui n’en reviendrait pas ! Pour me rassurer, l’homme, aussi pâle que du blé concassé, en attrapa un par la queue. L’animal, surpris, n’eut cependant aucun mouvement de défense et dans un ample geste, notre homme le balança dans le remblais en contrebas ! -Vous boirez bien un café ? Je n’ai pas eu le temps de dire non! non ! à ma mère que notre broyeur de grains avait déjà lancé cette phrase à sa brave femme : - Prends le balai et fais sortir les bestioles de la cuisine ! Elle pénétra dans la pièce et à grands coups de manche, elle fit sortir une bonne dizaine de rongeurs bien portants. Je me souviens d’avoir attendu la fin de la dégustation le,s jambes levées une fois à l’intérieur de la pièce, afin d’éviter les quelques animaux domestiqués qui avaient esquivé la sortie précipitée et qui circulaient encore dans la pièce ! Tout cela pour vous dire que ce vertébré, souvent considéré comme répugnant, est intelligent et sociable à l’image de son ennemi le chat lorsqu’il cohabite avec l’homme, aussi docile et brave que son cousin tout blanc qui sert de cobaye dans les laboratoires ! Cette scène surréaliste, vous en conviendrez encore une fois avec moi, je ne l’ai jamais observée dans un quelconque film!
 
Il n’existe pas d’hommes forts, mais seulement des êtres qui abusent de leur position.
Il n’existe pas d’hommes forts, mais seulement des êtres qui abusent de leur position.
Votre phrase est délicate. Que pensez-vous de Gandhi, DeGaule, à la différence des hommes forts, ils étaient qualifiés forts dans leurs domaines plus récemment, je pense au professeur Didier Raoult et ses confrères ils sont forts avec un niveau hors du commun et ils sont toujours t
Amicalement Raymond
 
Votre phrase est délicate. Que pensez-vous de Gandhi, DeGaule, à la différence des hommes forts, ils étaient qualifiés forts dans leurs domaines plus récemment, je pense au professeur Didier Raoult et ses confrères ils sont forts avec un niveau hors du commun et ils sont toujours t
Amicalement Raymond
Chaque pensée demande à être développée cher Raymond, celle-ci en particulier! Sous De Gaule par exemple, on a subi une politique sociale désastreuse! Il suffit de se remémorer le déracinement des pauvres enfants de la Réunion. Si vous me suivez, je vous invite à lire, sur cette page mon placement dans le centre de détention d’une fondation à Biarritz en 1963.
Le récit se trouve dans mon ouvrage, quelques pages au-dessus. Fils de résistants, ma mère a sauvé deux enfants de la rafle organisée par la division Das Reich à Figeac, parlez plutôt de Jean Moulin ou de la plupart des chefs de la résistance française, que du "grand Charles!"
Pour les autres personnalités que vous citez je suis d’accord avec vous..
Bonne journée
Amicalement
Momo
 
Récit N18

Les vieux pieds de vigne de Loupiac…

Il existe des petits coins de France où les traditions se perdent, hélas !

A Loupiac, l’endroit le plus propice aux rencontres entre gens du pays était naturellement le bistrot. Chacun avait sa petite anecdote à raconter et évidemment, même si on ressassait souvent les mêmes anecdotes, c’était toujours avec un égal plaisir que l’on tendait l’oreille pour les écouter autour du bar après quelques tournées au bon vieux rouge ou blanc des coteaux environnants et un bon château Loupiac. C’est quand même quelque chose, n’est-ce pas ? Ce soir-là, en guise d’amuse-gueule, allait retentir l’aventure du Gabriel et du Jantou. Une sacrée rigolade allait s’ensuivre ! En tout début de soirée, on avait déjà évoqué, pour chauffer l’ambiance, le fameux jour où, lors de l’enterrement du pauvre Louis, un très gros pavé lancé avec force était tombé dans la vasque du bénitier au premier rang de l’église, baptisant généreusement une deuxième fois, lors de leur sainte existence, une grande partie des grenouilles en pleurs. Cela fera l’objet d’une autre histoire. Toujours est-il qu’elle avait permis au conteur de service de se remémorer celle que je vais vous relater maintenant.

Le fait divers qui va suivre a entretenu les rires bien après qu’il se soit déroulé dans les fermes du grand secteur de Causse et Diège lors des veillées autour d’un bon feu de bois. Lorsque notre brave Gabriel rentrait du boulot, il croisait régulièrement "le Jantou" installé dans son automobile qui devait dater de la dernière guerre et, régulièrement, ce chauffard restait en phare alors que la nuit plombait déjà largement le secteur ! Il décuvait au volant car il respectait à la lettre la recommandation du Ministère de la santé de l’époque qui préconisait à un travailleur de boire au moins un litre de vin du pays par jour! Cette phrase était affichée un peu partout dans les lieux du service public, Jantou la connaissait par cœur et retenait surtout la mention sans équivoque «au moins» qu’il appliquait à la lettre, croyez-moi sur parole ! La même mesure était également mise en avant pour le bienfait du tabac ! Enfin, vous l’avez compris, le mot d’ordre était : « Tous engagés pour soutenir la viticulture et l’agriculture de notre belle région ! ». Notre Jantou finissait toujours sa terrible journée dans le bistrot de la Marcelle avec les éternels habitués du coude levé. Voici en quelques phrases comment cette histoire a commencé: - Miladiou !…s’exclama le Gabriel, je prends tout le monde ici à témoin ! Je vous fais le pari de trois tournées gratuites que, si le Jantou me remet les phares en pleine tronche comme il a l’habitude de le faire presque tous les soirs, je lui fonce dessus ! -T’as que de la gueule, tu ne le feras pas ! reprirent en chœur les piliers de comptoir. - Eh bien, c’est ce qu’on va voir ! Le Jantou, qui bien entendu était présent, a immédiatement pensé : « Il est con, mais pas à ce point quand même !» tout en se réjouissant déjà de picoler gratuitement peu de temps après !

Le soir de la rencontre tant espérée ne tarda pas. Alors qu’il roulait tranquillement, Gabriel vit arriver face à lui, feux de route enclenchés, l’animal à abattre ! Enfin, c’est ce qu’il pensa, et profitant de l’aubaine sans hésiter une seconde, les bras crispés sur son bolide, il se dirigea droit vers sa cible ! Il ne le savait pas encore, mais il allait être victime d’un double choc ! Les véhicules s’arrêtèrent net dans un fracas de tôles assourdissant. Gabriel était fier de lui, son pari, il l’avait désormais en poche ! A peine remis de cette intense émotion, il se dégagea de l’épave et vit face à lui deux lumières vives qui le fixaient avec insistance en plein visage ! Qu’avait-il donc fait au bon dieu pour que tant de rayons lumineux de forte intensité s’acharnent ainsi continuellement sur lui ? Il comprit presque aussitôt et, tout en faisant virevolter son couvre-chef sur sa tête comme il avait l’habitude de le faire devant les situations grotesques, il aligna ces paroles qui restèrent à jamais gravées dans la mémoire collective des habitants du village, tant elles étaient appropriées à la scène imprévue ! - Aqueth còp, si èi pas tròp lusit !- Ce coup-ci, je n’ai pas trop brillé ! En effet, face à lui, deux pandores du coin se rapprochaient afin d’entreprendre un brin de causette ! Il leur expliqua bien évidemment, sans se démonter une seconde, qu’il avait été ébloui par les phares de leur voiture ! On a beau être assermenté, on se doit avant tout de respecter le code de la route, n’est-ce pas? Ils lui demandèrent dans la foulée s’il avait bu, visiblement après quelques exercices physiques appropriés afin de détecter l’alcoolémie du chauffard suspecté. Par un miracle que je ne saurais vous expliquer, ce jour là, Gabriel était resté sobre comme un chameau ! Était-ce dû à une petite cure de désintoxication en prévision du froissement de tôle pour ne pas rater sa cible ? Les gendarmes n’ont cependant pas reconnu leurs torts et l’ont assigné à se rendre devant un juge au tribunal de Rodez, pour s’expliquer sur cet étrange comportement !

Le jour J, notre homme, droit dans son costume en velours trois pièces, montre gousset en poche, expliqua que la voiture officielle était arrivée face à lui en l’aveuglant à la manière d’un soleil rasant un matin d’octobre et qu’il n’avait absolument rien pu faire pour l’éviter ! Il insista sur le fait qu’il n’avait pas bu ! Le jugement a été prononcé sur-le-champ, son explication ayant été suffisamment convaincante aux yeux de la magistrature. Gabriel est donc ressorti blanchi de l’accusation injuste stipulée dans le procès-verbal ! Quand on dit qu’il n’y a pas de justice dans notre pays, on se trompe lourdement, notre poivrot vient à l’instant de vous en apporter la preuve formelle ! On n’a jamais su au pays si les agents avaient été réprimandés pour faux en écriture ! Lorsque vous passerez à Loupiac dorénavant, vous aurez, je l’espère, un autre regard sur l’ancien petit bistrot de la Marcelle. Le pauvre Gabriel, malgré sa bonne volonté, n’a pas eu droit aux trois tournées gratuites, la cible touchée n’ayant pas été la bonne ! Il a dû s’exécuter et payer sa dette ! On est fidèle à sa parole quand on habite Loupiac ! Malgré ce manque de chance évident, vous en conviendrez avec moi, dans un élan de générosité que tous les habitués du troquet lui connaissaient et pour asseoir sa réputation de pilier de comptoir éternellement , il a laissé une coquette somme d’argent à la patronne afin que l’ensemble des pieds de vigne, les bras accoudés au comptoir, puissent, le jour de son enterrement, trinquer et porter plusieurs toasts à la santé de son âme ! Tout en racontant, n’en doutons pas une seconde, le petit récit que je viens de coucher sur cette page.
Quant à notre brave Jantou, il a remercié chaque jour le seigneur de sa bienveillance, en propulsant Gabriel miraculeusement dans les bras des forces de l’ordre. Vous trouverez bien une morale à ce conte véridique ?
 
C'est toujours un régal pour moi de te lire, car j'ai tout lu de Toi, et à chaque fois je découvre quelque chose qui m'avait échappé, tu m'as fait rire avec les grenouilles de bénitier, j'ai lu d'un Poète qu'il avoué pissait dans le bénitier quand il était petit, et le résultat est que sa Poésie est sainte liturgie pour moi depuis plus d'une décennie, j'ai bu il y a longtemps du Loupiac, çà doit être les effluves du passé, qui planent ce soir sur ta Poésie , je te souris.

Tendre soirée mon Arthur e770e799f7f7cc7cafaff82c00ae8ad5.jpg
 
C'est toujours un régal pour moi de te lire, car j'ai tout lu de Toi, et à chaque fois je découvre quelque chose qui m'avait échappé, tu m'as fait rire avec les grenouilles de bénitier, j'ai lu d'un Poète qu'il avoué pissait dans le bénitier quand il était petit, et le résultat est que sa Poésie est sainte liturgie pour moi depuis plus d'une décennie, j'ai bu il y a longtemps du Loupiac, çà doit être les effluves du passé, qui planent ce soir sur ta Poésie , je te souris.

Tendre soirée mon Arthur Afficher la pièce jointe 42126
merci chère Paule, c’est un plaisir pour moi, de savoir que tu lis et relis mes récits!
Agréable journée
Je t’embrasse
Momo
 
Récit 19

Bergon, lo campanièr de campanas! Bergon, le campanier de Faycelles! Diga, mameta, me contas l'istòria de Bergon e de sa Mariton a Faicelas?
Dis, mémé, tu me racontes l’histoire de Bergon et de sa Mariton à Faycelles ? Cette histoire vécue, je la connaissais aussi bien qu’elle, et je me plaisais à la réentendre, aussi il n’aurait pas fallu que ma pauvre grand-mère saute un seul paragraphe de ce charmant récit riche en enseignement, car j’étais très attentif à ses paroles, et elle aurait immédiatement entendu un premier son de cloche ! Tout d’abord il faut camper l’individu ! Pour cela, je vais vous parler en quelques lignes de sa famille. Sa grand-mère maternelle était née sur le rocher troglodyte qui domine la montée abrupte de la châtaigneraie en dessous du village de Faycelles. Beaucoup de malheureux avaient choisi cet endroit providentiel qui les protégeait un peu d’un climat aux rudes variations. Les hivers étaient bien plus rigoureux qu’aujourd’hui, les plus anciens ont en mémoire des mois où les températures oscillaient entre moins dix et moins vingt degrés. Cette petite plateforme providentielle qui leur offrait un toit avait été taillée dans la roche au fil des millénaires par l’érosion, elle n’avait rien de confortable mais avait le mérite d’exister et quand on est miséreux, on se contente de très peu! Le grand-père de Bergon avait participé à la guerre de 1870 et s’était comporté, rapporte t-on, en soldat exemplaire. Cette très longue absence loin de ses parents avait été précédée du service militaire. Cet éloignement lui avait permis de faire connaissance avec une partie de sa patrie. Bien souvent les jeunes gens de nos fermes n’avaient que cette occasion pour quitter l’endroit qui les avait vus naître! C’était d’ailleurs une phrase-clé de l’armée pour inciter les hommes à rejoindre le drapeau: «Engagez-vous, vous verrez du pays !» Pour cela fallait-il encore être jugé apte le jour de l’inévitable conseil de révision! Cela me permettra, dans une prochaine histoire vécue, de vous décrire cette fameuse journée où les futurs conscrits de la commune étaient soumis à une suite d’épreuves autant physiques que morales avant de s’entendre dire: «Bon pour le service, bon pour les filles» et enfin d’avoir l’autorisation d’arborer fièrement sur leur beau veston la cocarde tricolore!

Cette notion d’évasion loin de son clocher me remémore une petite anecdote que je ne peux pas passer sous silence. Alors qu'il était souffrant pour la première fois de sa vie, le brave Gaston natif de Lavalade dut se rendre à Cahors afin d’être hospitalisé. Notre malade installé confortablement à l’arrière de la reine des voitures voyait défiler le paysage quand il a subitement prononcé cette phrase en patois ! Elle en disait long sur son dépaysement: « Eh plan!...auriái pas jamai cregut que França èra tan granda!» «Eh bien!...je n'aurais jamais cru que la France était si grande!». Rien ne vaut, vous voyez, un déplacement en grandeur nature, il permet de se faire une idée précise de l’étendue des choses. Comme la vie loin du nid natal forme la jeunesse, notre brave Bergon, à la fin de son incorporation sous les drapeaux, avait tenté l’aventure dans la capitale où il s’était adonné au rude métier de livreur de charbon. Il était très fier de pouvoir raconter qu’en ce temps-là, chargé de deux gros sacs d’anthracite, il gravissait plus de six étages sans être essoufflé ! L’appel de l’air pur du pays cependant et les fameuses résonances de cloches ont rapidement eu raison de ce court exode. C'est donc en accord avec sa conscience qu'il a pris la décision de rejoindre sans plus tarder sa terre natale. Bergon y a trouvé presque aussitôt un travail et il s’est avéré rapidement indispensable à la vie du village et de ses alentours. Il a même cumulé les fonctions grâce à une de ses passions, en devenant marchand d’ânes. Il avait en effet un amour démesuré pour ces quadrupèdes têtus à grandes oreilles! Dans un premier temps il se fit campanier ! C'était un personnage très important, essentiel même, il assurait le lien qui unissait l’ensemble de la communauté gravitant autour du clocher de l’église. C’était en quelque sorte un des premiers fonctionnaires mal rémunérés et non reconnu officiellement par l’administration. De là à dire que cette corporation ne mérite aucun salaire, je ne me risquerai pas à un tel raccourci!
Je ne veux pas, chers lecteurs, ici susciter vos foudres et devenir la cloche à abattre, mais le diablotin que je suis aime gentiment attiser la surchauffe. Cela dit, je ne prends pas un grand risque car mon clocher est équipé d’un bon paratonnerre!
Le travail principal de Bergon était axé bien entendu sur les annonces des offices religieux, cela se faisait par un vol de sonneries préalables précédant successivement de soixante, trente, et cinq minutes le début de la cérémonie. Cette méthode servait de métronome afin de prévenir les hameaux les plus éloignés. Les fidèles avaient alors le temps matériel d’arriver à l’heure à l’église car le plus souvent, cette approche se faisait à pied. Mais bien entendu les cloches ne se limitaient pas à cet appel, elles jouaient aussi le rôle aujourd’hui encore tenu dans toutes nos villes par les sirènes. Elles étaient bien plus charmantes et avaient une résonance bien plus mélodieuse que les hurleuses de nos cités que les gens du pays qualifiaient d’inhumaines, celles d’un monde qui devenait à leurs yeux trop moderne, où la spiritualité était moins propice aux prières et à l’appel du Seigneur. Rien ne peut remplacer dans ce rôle l’angélus, n’est-ce pas? Le matin, semblables au maître à la crête rouge et aux élans de roi dans la basse-cour , elles tintaient l’heure du réveil, les vibrations sonores de midi étaient suivies du repas des paysans et des ouvriers, elles obligeaient les femmes à presser le pas, le panier sous le bras. Dans les chemins tortueux entretenus par les bergers, certaines allaient à la rencontre de leur mari qui travaillait les champs dans la plaine. D’autres prenaient la direction du causse où le chef de famille gardait les moutons tout en façonnant des murets qui leur servaient de clôture et des caselles qui les abritaient en cas d’intempéries! Bergon était également un journalier, et pour cette raison, il lui arrivait de se suspendre à la corde quelques minutes avant l’heure précise, on ne lui en voulait pas pour autant, tous les gens du pays bénéficiant ainsi de cette aubaine bergonniènne ! Evidemment, quelques-uns lui en faisaient de temps en temps la remarque, c’était à leur tour d’entendre un son de cloche !…Il leur répondait immanquablement: -En çò de-me es abans tot l'estomac que parla!…Chez moi c’est avant tout l’estomac qui parle! La sonnerie du soir, quant à elle, arrivait enfin, elle invitait à lâcher le manche de l’outil et à rentrer les bêtes à l’écurie. La longue journée n’était pour autant pas achevée, il fallait encore traire! Le labeur à la campagne est aussi fractionné par le rythme des animaux, quand le concert des meuglements et des bêlements se fait mélodieusement entendre!

Mais revenons à nos très chères cloches qui assuraient toutes sortes de fonctions!
Elles invitaient les gens à écouter le crieur public, lequel jouait le rôle d’une radio locale, elles annonçaient les événements exceptionnels! Le triste tocsin signalait une déclaration de guerre, un cataclysme ou un incendie et c’étaient alors les cœurs des pauvres gens qui battaient à l’unisson ! Joyeuses, elles fêtaient l’armistice, elles étaient alors les témoins privilégiés des liesses populaires.
Le carillon faisait partager les joies de l’entrée en chrétienté d’un nouveau-né par le baptême, il annonçait à toutes volées l’union d’un couple dans le mariage. Le triste glas qui sonnait deux coups pour les hommes et un coup pour les femmes ponctuait les décès tout en accompagnant le défunt vers sa dernière demeure ! Les cloches avaient aussi le pouvoir magique de faire fuir les orages porteurs de grêle! Dieu, cependant, avait le pouvoir de punir pour des raisons diverses l’ensemble de la commune et après un désastre, des voix paysannes s’élevaient en disant : - Prengam en nòstres, es lo tot poderós que l'a volgut! - Prenons-nous-en à nous, c’est le tout puissant qui l’a voulu ! Ce battant mobile en acier fixé solidement sur son axe, comme vous le constatez, avait un rôle capital dans l’existence de nos braves campagnards dès qu’il prenait vie, agité intelligemment par la main de l’indispensable Campanier. Bergon était récompensé chaque année des services qu’il rendait à l’ensemble des âmes de la commune. Lorsque la saison des récoltes enfin arrivait, il allait de propriété en propriété pour percevoir en quelque sorte sa dîme, il en avait rendu des services, et les paysans le récompensaient aussi généreusement que possible, c’était en quelque sorte un juste retour d’un écho de cloche ! Mais là ne s’arrêtait pas son grand talent, il était également chantre à l’église, et bien que n’ayant jamais appris un mot de latin, il faut reconnaître que dans l’ensemble, il le possédait fort bien. Il entonnait les chants grégoriens et avec son accent rocailleux bien particulier, doublé d'une voix très haute, il suivait les notes en escaladant ou en dévalant la gamme, c’était un virtuose des sons, le baryton du chœur et des rimes à faire pâlir de jalousie les voix des piliers d’église à trente lieux à la ronde! Ce don du ciel qu’il possédait avec grâce lui a permis de gravir l’échelle de la reconnaissance ou de la renommée si vous préférez. On l’éleva au rang d’annonceur public. Excusez-moi mais quand je parle de Bergon, je n'ose pas, par respect pour ses cordes vocales, employer le terme de "crieur!" Le dimanche à la sortie de la messe, il avait toujours des bons conseils à donner, et les nombreux pratiquants l’écoutaient religieusement et se confiaient même aux oreilles du chanteur éclairé! Un confessionnal de groupe à l’air libre en quelque sorte! « Ben ausit, aqueles prepauses èran divulgats dins la lenga del país en pateses ! Sols los iniciats podián comprene ! Lo vertadièr latin, coma s'agradava a m'o repetir mon oncle qu'èra professor de francés latin grèc!» paroles que je vous traduis ici: « Bien entendu, ses conseils étaient divulgués dans la langue du pays en patois! Seuls les initiés à ce merveilleux langage pouvaient le comprendre! Le vrai latin, comme se plaisait à me répéter mon oncle Roger qui était professeur de français- latin-grec ! »

Notre homme vivait de moins que rien avec sa pauvre chérie, la Mariton. Ils mangeaient régulièrement les vieilles carcasses de chèvres qu’ils mettaient au sel! Bergon les avait achetées à la foire pour une bouchée de pain. Dans nos campagnes, on conservait la viande des animaux dans une maie, grand coffre en bois muni d’un couvercle amovible. Le réfrigérateur, pour les plus jeunes d’entre vous, n’est apparu que bien plus tard ! Ils vivaient ainsi et pour rien au monde ils ne se seraient plaints, ils ne se considéraient pas comme des déshérités. Quand on se contente de l’essentiel, on peut sans problème toucher du doigt le bonheur. Sa brave Mariton savait à sa manière le gâter parfois et il lui en était très reconnaissant. « Giga Marie ! Tu me gastas ! » « Dis, Marie, tu me gâtes ! » Ils étaient braves et simples, et pour rien au monde, ils n’auraient porté tort à quelqu’un, contrairement à beaucoup de langues de vipères qui sillonnaient le pays en crachant leur venin! Ils vivaient chichement, certes, mais dignement, et paraissaient très sereins, c’étaient des sages comme l’on n’en rencontre pas beaucoup de nos jours ! La Mariton le régalait parfois d’une belle tête de mouton, c’était la tête de veau du pauvre! On l’utilisait surtout au pays pour la pêche à l’écrevisse dans les ruisseaux aux eaux cristallines! Ces petits homards d’eau douce d’origine autochtone ont pratiquement disparu aujourd’hui, ils avaient colonisé nos petits cours d’eau où ils pullulaient. Malheureusement, ils ont été les premières victimes de la pollution. On utilisait un système ingénieux en forme de balance pour les capturer. L’appât aux odeurs puissantes à base de viande avariée de moutons les attirait dans l’antre d’une large vasque, il suffisait alors de soulever le piège et le tour était joué ! En ces temps glorieux, les mets des riches pouvaient être servis sur la table des misérables. Ainsi la truffe noire, l’écrevisse, le cèpe entre autres venaient-ils s’inviter dans les assiettes creuses des gueux.

Mais revenons à ce jour de festin chez les Bergon! Sa tendre épouse, par mesure d’économie, n’enlevait pas les yeux de l'animal sacrifié! Les badauds curieux qui tendaient l’oreille pouvaient entendre leur conversation, la porte étant toujours ouverte hiver comme été! Un agréable courant d’air assainissant parcourait ainsi l’unique pièce avec son cortège de mouches par forte chaleur, et par temps froid, cette ingénieuse idée permettait de ne pas enfumer l’entourage ! Alors que ce fastueux dîner avait débuté, notre Bergon s’est adressé à la Mariton et de sa voix de baryton s'est mis à l'interroger sur un détail qui, à première vue, semblait anodin mais qui, à deuxième vue, a fini par l'inquiéter! - Diga, Marie, los èlhs se manjan ? - Oc ben, Bergon, tot se manja ! Tot se manjea ! Dis, Marie, les yeux se mangent ? - Oui, Bergon tout se mange ! Notre pauvre homme, qui ne voulait surtout pas contrarier sa Mariton chérie, toujours docile, obtempéra sur-le-champ ! Il faut dire qu’il lui vouait une véritable passion, que dis-je, un véritable culte. Dans la vie, il avait trois priorités ! « Ça que aimi lo ma, après lo bon Dius e la nostra Marie, aquos és lo tabac !» « Ce que j’aime le mieux après le bon Dieu et notre Marie, c’est le tabac !». Curieusement, il avait oublié les ânes ce jour-là! La gentille Mariton n’avait pourtant rien d’une beauté, c'était un tas de nerfs qui frôlait le nanisme, en plus elle se tenait voûtée et avait été avantagée par une certaine prédisposition à la pilosité. Bref, on ne s'attend pas à voir autant de traits négatifs sur une aussi petite personne. Mais vous le savez comme moi, l’amour est aveugle, et quand Bergon vous parlait d’elle, il la décrivait comme une des sept merveilles du monde. D’ailleurs, un jour qu’il était en train d'évoquer des souvenirs de caserne et qu’il mettait en avant la très belle prestance de son colonel droit dans son uniforme et dont il avait été le planton, il flatta la magnificence de sa perle rare ! Elle était, à le croire, la plus belle créature que la terre eut portée! Il lui était impossible de la décrire, et de superlatif en superlatif il a fini par lâcher cette image digne du culte inconditionnel qu'il lui portait : - Agacha ! Réa polida, polida ! Té, tant polida que la nostra Marie - Regarde! Elle est belle, belle ! Tiens, aussi belle que notre Marie. Il parlait bien entendu de la Sainte Vierge! Beauté extérieure et intérieure d'une mère vénérée que l'on ne peut en aucun cas mettre en doute!
On raconte que ce culte de la passion amoureuse le poussait carrément à l’héroïsme! Lorsqu'il revenait d'une cueillette de champignons où la diversité pouvait créer le doute par rapport à la comestibilité, il avait le sens du sacrifice! Il s'affairait à les trier et à les préparer. D'un bon coup de fourchette, il les dégustait et en laissait une bonne part pour sa Mariton. Rassurée, son âme sœur pouvait ainsi manger les restes le lendemain sans arrière-pensée!
Il l’aimait à en mourir !

Voici sa chanson : il avait plusieurs métiers !
Je m’appelle Bergon
Je suis un maquignon
Quand je vais à la foire
Je prends mon bâton,
Quand j’active les cloches, Je n’ai rien d’une cloche!

M'apèli Bergon
Soi un maquinhon
Quand vau a la fièra
Preni mon baston!
Quand activi las campanas
Ai pas res d'una campana!
 
La nuit a inspiré les plus grandes plumes, elle favorise les élans poétiques vers la noble beauté, elle est une source d’inspiration aux vers luisants qui s’enchaînent, comme les étoiles au sein des constellations.
 
Récit N20

Une histoire vraie, bien de chez nous

Il s’agit, de celle de Bergon, sa pauvre mère était née comme lui, dans la maison troglodyte de la Châtaigneraie, vous savez, celle qui surplombe gracieusement la plaine de la vallée du Lot, un abri providentiel doté d’une vue imprenable, creusé par l’érosion dans la roche dure au fil des millénaires. Pour celles, et ceux, qui ne connaissent pas ce haut lieu en natalité, je mettrai quelques photographies, il y a quelques années a été restauré, pour le rendre bien sur, beaucoup plus confortable!

Les très pauvres du pays, avaient pris pour habitude de s’installer à l’abri des quatre vents sous ce rocher providentiel, enfin, je devrais plutôt écrire, des deux vents, celui du Nord et de l’Est! Ce refuge, leur avait été offert gracieusement par la main du seigneur, et lorsqu’on arrive au monde, fauché comme les blés de la plaine, on ne refuse jamais l’aubaine, surtout si par miracle elle vient du divin!
Inculte, notre brave bougre eut l’idée d’entreprendre une carrière de maquignon. C’était un honnête homme en haillons, il avait toujours eu une passion inimaginable, pour l’espèce à quatre pattes aux grandes oreilles! Il prit donc tout son temps pour acheter son premier "Carreton" puis il arpenta tous les chemins carrossables pour se rendre aux foires de notre belle région! Il ne fit pas fortune pour autant, car force était de constater, qu’il enterrait plus d’ânes qu’il n’en vendait! Vous le savez toutes, et tous, quand on commence une activité aussi délicate avec ce type de marchandise vivante sur quatre sabots sans un sous, ou presque, on nous voit arriver de loin! Les plus vieilles carnes, celles qui coûtent le moins cher, finissent entre nos bras, et on finit inévitablement par se ruiner! Eh oui ! Quand la misère vous colle à la peau c’est pour longtemps! Et cela, vous en conviendrez avec moi après réflexion, n’a rien à voir dans le fait, que les maquignons vous ont pris pour un âne, même s’ils vous ont vu arrivé de très loin!
Tiens, aujourd’hui, je vais vous raconter une petite histoire rapportée dans sa version intégrale, et originale par les gens du pays. Répétée, comme un sacerdoce, lors des longues soirées d’hiver près de la cheminée, ce récit bien mijoté dans l’âtre flamboyant, campe bien ce personnage hors du commun, fort en répartie, loin d’être stupide, enfin pas à l’image de l’animal qu’il adorait!
Quoique, d’après une étude récente, l’âne ferait parti des cinq animaux les plus intelligents! Ce n’est pas pour rien, qu’il refuse d’avancer quand on lui demande de travailler!
Et entre nous, cela me permet de vous dire, que pour moi qui ai eu l’honneur de porter un bonnet d’âne le jour de la fête des écoles au Mas du Noyer, cette nouvelle m’a quand même bien réconforté!
Mais, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos ânes, ce grand jour de la foire de Figeac du 15 novembre 1956.
Le soir même où notre brave bougre rentrait de cette immense rassemblement d’ânons! Il avait acheté sûrement le plus vieil âne sur place du foirail à un prix à couper le souffle! Voilà, qu’au beau milieu de la côte de Faycelles à hauteur de la propriété de la famille Gary, qu’il s’aperçoit que la pauvre bête est à court de souffle justement, et qu’elle n’est plus du tout en état de tirer la charrette. N’écoutant que son cœur, grand comme la colline qui l’a vu naître, il décide sur le champ de prendre sa place au milieu des brancards, et attache l’animal à l’arrière de ce drôle et déroutant attelage.
Après tout, n’avait-il pas fait l’aller dès l’aube, et cela jusqu’à la foire sans une aide animale? Ne me demandez pas comment il avait réussi à hisser la charrette jusqu’à la place aux bestiaux, située sur la hauteur de Figeac.
Vous avez très certainement remarqué, que lorsque l’on se trouve dans une position souvent aussi périlleuse, que délicate, et n’ayons pas peur des mots, très inconfortable, que surgissent comme par miracle, des personnages, que l’on ne souhaite pas forcément rencontrer, en l’occurrence, ce fut les tant redoutés gendarmes du tour de ville de Cajarc!
C’était les bêtes noires, les plus redoutées des gens de la commune, en dehors bien entendu des vraies, car vous l’avez sûrement lu, une locomotive peut en cacher une autre! Ces représentants de la loi, étaient réputés pour la dureté de leurs contreventions! Beaucoup plus intransigeants que ceux de Figeac, qui par pitié n’avaient absolument pas l’habitude de verbaliser les pauvres gens de leur propre canton. Eh oui, à cette belle époque, il régnait au pays une certaine morale, qui de nos jours vous en conviendrez à nouveau avec moi, a totalement disparu!
Bien entendu, cette tradition ancestrale, paraissait logique à tous, et ces règles déontologiques s’appliquaient partout en France. Punaise, il n’aurait plus manqué que cela! Quoi ? Que les agents qui font régner l’ordre nous alignent sans état d’âne, non d’âme, près de chez nous! L’inacceptable n’avait donc aucune raison d’être! Là-dessus, vous serez j’en suis persuadé, toutes et tous d’accord avec l’auteur de ce petit récit.
Mais reprenons, notre vraie histoire, où nous l’avions laissée.
Les pandores, s’approchèrent de l’étrange, et surprenant convoi démuni de sa lanterne obligatoire! Il n’y avait sans aucun doute effraction au code de la route! Il faudrait être un âne, pour ne pas s’en rendre compte!
D’une voix bien particulière, propre à leur corporation dans le sud ouest, ils interpellent donc notre sonneur de cloche. Ah oui! J’ai oublié de vous dire que Bergon a plusieurs métiers de pauvre, qu’il cumule intelligemment, et pour l’occasion c’est lui qui va se faire sonner les cloches! On lui rappelle illico presto le règlement, en long en large, et même en travers, si je peux m’exprimer ainsi, pour avoir une bonne conduite! Sans se décontenancer le moins du monde, notre pauvre marchand d’ânes, réplique aussitôt :
«Au lieu de vous acharner sur moi, demandez donc des explications au propriétaire de cet inquiétant attelage, attaché derrière au bout d’une corde! Ne voyez-vous donc pas, que je suis l’âne entre les brancards!»
Et les gendarmes s’esclaffèrent, et rentrèrent dans leur poche, le carnet des procès-verbaux.

Voici sa chanson : il avait plusieurs métiers, je vous l’ai dit
!Je m’appelle Bergon, Je suis un maquignon, Quand je vais à la foire je prends mon bâton,Quand j’active les cloches, Je n’ai rien d’une cloche!
M'apèli Bergon soi un maquinhon quand vau a la fièra prend mon baston! Quand activi las campanas ai pas res d'un a campana!